Par Antoine Gautherie
Source: SpaceNews

Elon Musk est prévenu : ses concurrents chinois n'ont pas prévu de ralentir la cadence.
Le mercredi 14 décembre, la Chine a assisté aux grands débuts d’un appareil révolutionnaire ; l’entreprise Landspace a lancé Zhuque-2, un lanceur spatial propulsé au méthane — un combustible d’avenir que les géants du secteur, à commencer par SpaceX, cherchent aussi à domestiquer. C’est la première de l’histoire qu’un tel engin a décollé… mais l’expérience a malheureusement tourné court.
D’après le rapport du journaliste spécialisé Andrew Jones pour SpaceNews, Zhuque-2 n’est pas arrivé au terme de sa mission. Lors de la seconde phase du vol, après la séparation du premier étage, le deuxième jeu de moteurs semble avoir rencontré un dysfonctionnement important.
D’après les informations disponibles à l’heure actuelle, le problème concernait les moteurs Vernier. Ce sont des propulseurs complémentaires de petite taille situés de part et d’autre des moteurs principaux. Contrairement à ces derniers, la poussée qu’ils délivrent ne sert pas à arracher le véhicule aux griffes de la gravité ; elle sert essentiellement à corriger la trajectoire pendant l’ascension.
Un vrai succès caché par l’échec de la mise en orbite
Le véhicule entier s’est donc mis à dévier de sa trajectoire. Il n’a pas pu accumuler suffisamment de vitesse pour rejoindre l’orbite. Aucune image de cette séquence ne semble avoir filtré, mais selon les témoins, elle a fini par retomber vers la surface et s’est donc vraisemblablement écrasée. D’après Andrew Jones, journaliste spécialisé dans le programme spatial chinois, la charge utile constituée de quelques satellites a été perdue.
Malgré cet échec, les ingénieurs chinois ont quand même des raisons d’être optimistes. En effet, il semble que les moteurs principaux ont fonctionné à peu près comme prévu — et c’est peut être l’information la plus importante dans cette affaire. Car comme mentionné en début d’article, il ne s’agit pas de moteur-fusée comme les autres.
Leur particularité, c’est qu’ils sont alimentés par un mélange de méthane et d’oxygène liquide — on parle alors de moteur methalox. C’est une différence considérable par rapport aux propulseurs traditionnels. En règle générale, ces derniers utilisent plutôt un des combustibles à base de kérosène (dits kerolox). C’est notamment le cas des moteurs Merlin que l’on trouve sur les lanceurs Falcon 9 de SpaceX.
Du kérosène au méthane
Or, les combustibles à base de méthane présentent des avantages énormes par rapport aux fuels de type kerolox. En premier lieu, il est moins dense et offre une impulsion spécifique (Isp) nettement plus importante. Très vulgairement, c’est une unité de grandeur qui permet de mesurer l’efficacité de ces moteurs ; plus elle est élevée, moins il faut mélanger de carburant à l’oxydant (l’oxygène) pour développer une poussée équivalente.
Concrètement, cela signifie qu’une fusée construite autour d’un moteur methalox sera nettement plus petite à charge utile égale. Or, la majorité de la masse d’un lanceur est justement réservée au stockage de ces propergols. Avec un fuel à l’Isp plus importante, les opérateurs pourraient se permettre d’emporter des charges utiles plus lourdes. Par extension, il serait donc possible d’envoyer des engins plus sophistiqués dans l’espace, ou d’y apporter beaucoup plus de matériel en un seul lancement.
L’autre avantage considérable des moteurs methalox par rapport à leurs équivalents kerolox, c’est que le méthane est abondant et très peu cher. De plus, sa combustion est parfaitement propre, au sens où elle ne laisse pas de résidus de carbone sur les parois du moteur. Il n’y a donc pas besoin d’un nettoyage en profondeur après chaque vol. Un avantage énorme pour la logistique quotidienne des opérations.
L’aérospatiale change de paradigme
En lisant ces avantages, on comprend aisément pourquoi tous les géants de l’industrie travaillent en ce moment sur des véhicules de type methalox. On peut citer New Glenn de Blue Origin, Neutron de Rocket Lab, Vulcan d’ULA, mais aussi et surtout… le Starship de SpaceX.
Le futur fer de lance des troupes d’Elon Musk, qui fait déjà frissonner toute la concurrence alors qu’il n’a même pas encore eu droit à son baptême de l’air, sera en effet équipé des fameux moteurs methalox Raptor V2.
SpaceX a été parmi les premières à miser sur cette technologie, et travaille dessus depuis des années. Ce moteur a longtemps été la priorité absolue de la firme. Le développement a été long, excessivement difficile et très coûteux, au point de faire frôler la faillite au géant du secteur (voir notre article ci-dessus). Mais ces derniers mois, Musk a multiplié les signaux encourageants ; le Raptor V2 semble désormais au point, et le Starship approche enfin des starting-blocks.
SpaceX à deux doigts d’être coiffé au poteau
De nombreux observateurs pensaient donc que SpaceX allait devenir la première entreprise à envoyer un engin en orbite grâce à un moteur methalox — un exploit qui n’a jamais été réalisé jusqu’à présent. Mais c’était sans compter sur les progrès fulgurants de l’aérospatiale chinoise ; sans la défaillance de ce petit moteur Vernier, l’Empire du Milieu aurait très probablement grillé la politesse au champion américain.
Zhuque-2 reste un lanceur immensément moins avancé que le futur Starship. Globalement, il est encore trop tôt pour dire que Landspace a battu ou dépassé SpaceX sur cette technologie. Mais il s’agit d’un coup de semonce tout sauf négligeable. En l’état, la firme peut quand même s’enorgueillir d’avoir lancé le tout premier véhicule methalox opérationnel. Et il s’agit déjà d’une avancée assez conséquente, contrairement à ce que semblent suggérer les médias américains rangés derrière leur champion national.
Il sera donc assez fascinant d’observer les prochaines étapes de cette course. Le Starship sera-t-il le premier véhicule de cette catégorie à atteindre l’orbite ? Ou sera-t-il devancé par une jeune pousse chinoise ? Les paris sont ouverts. En tout cas, ce qui est sûr, c’est que ces progrès ne feront pas plaisir au contingent américain. L’Oncle Sam voit déjà d’un très mauvais œil les succès spatiaux de la Chine (voir notre article), et sa montée en puissance dans ce domaine ne va certainement pas apaiser les tensions entre ces deux pays embarqués dans une sorte de néo-guerre froide.
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